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Recel successoral et recel de communauté : précisions utiles sur la notion de masse partageable et sur celle d’héritier receleur

Photo du rédacteur: David EpaillyDavid Epailly

Dans un arrêt en date du 11 décembre 2024 (Cass. 1ère civ., 11 déc. 2024, n°23-12.102), la Cour de cassation devait se prononcer, dans le contexte d’un règlement successoral conflictuel, sur les éléments constitutifs du recel successoral et du recel de communauté.

 

En l’espèce, une personne (M. O dit A) décède, laissant pour lui succéder deux enfants (U et D) ainsi que son petit-fils (M. R), légataire de la quotité disponible. Avant que le partage de cette succession ne soit réalisé, l’enfant D décède à son tour en 2002, laissant pour lui succéder son fils d’une première union (ledit M. R) et son conjoint (Mme I), avec laquelle il était marié sous le régime de la communauté légale, donataire à cause de mort de la plus forte quotité disponible, qui décide d’opter pour la quotité « mixte » d’un quart en propriété et trois quarts en usufruit.

 

Un conflit naît alors entre les différents héritiers. M. R reproche notamment à Mme I d’avoir recelé un certain nombre de biens (différentes œuvres) tant dans la succession de son père (D) que dans l’indivision post-communautaire ayant existée entre ce dernier et Mme I. Quant à M. U (le beau-frère de Mme I), il invoque également le recel des mêmes biens, cette fois dans la succession du grand-père (O).

 

Toutes ces demandes sont rejetées par les juges du fond. S’agissant des deux dernières, la Cour d’appel fait d’abord valoir «(…) que M. R « n'était pas fondé à invoquer un recel successoral commis par Mme [I], dès lors que le montant de son usufruit (dans la succession de [D] [S]) (était) indéterminé et (que) sur cet usufruit, elle n'(était) pas en indivision (…)». Le même argument est, à peu de choses près, repris pour écarter également le recel dans l’indivision post-communautaire des époux D-I. Quant au recel dans la succession du grand-père (O dit A), il est là encore écarté, cette fois au motif « (…) que Mme I ne pouvait se voir condamner pour des faits de recel successoral de biens dépendant de la succession de [A] [S] car elle [n’était] pas son héritière et qu'elle n'était pas en indivision avec M. U ».

 

Suite au pourvoi formé par M. R et M. U, l’arrêt d'appel est cassé par la Cour de cassation, au visa des articles 778, alinéas 1 et 2 et 1477 du Code civil.

 

Elle relève d’abord, s’agissant des deux premiers moyens, qu’il existait bien une indivision sur la nue-propriété des biens propres dépendant de la succession de M. D, de même que sur la nue-propriété des biens dépendant de l’indivision post-communautaire. Le fait que Mme I soit seule usufruitière de ces biens n’était donc pas de nature à écarter les éléments constitutifs du recel, ni l'élément matériel, ni l'élément intentionnel : « (…) qu'en affirmant, par motifs réputés adoptés, que l'usufruit de Mme [I] sur les biens de la succession de [D] [S] excluait la caractérisation de l'élément intentionnel d'un recel successoral ou d'un recel de communauté, la cour d'appel, qui s'est prononcée par des motifs impropres à exclure l'élément intentionnel du recel et s'est, ainsi abstenue de rechercher si les agissements reprochés à Mme [I], avoir dissimulé ces biens, ne caractérisaient pas un recel, a privé sa décision de base légale (…) »

 

S’agissant du recel dans la succession du grand-père (M. O, dit A), la Cour de cassation censure également la décision des juges du fond. A l’argument supplémentaire tiré du défaut de la qualité « d’héritière », au sens de l’article 778 du Code civil, de Mme I dans la succession dudit M.O, la haute juridiction répond, au-delà de la lettre de ce texte, que, «(…) les peines du recel successoral s'appliquent au conjoint survivant qui, ayant recueilli, au décès de son conjoint, tout ou partie des droits que celui-ci tenait de sa qualité d'héritier dans la succession non partagée de son auteur prédécédé, les a recelés ».

 

Observations


Le présent arrêt apporte quelques précisions intéressantes sur les éléments constitutifs du recel successoral (article 778 du Code civil, depuis la loi du 23 juin 2006 qui a déplacé les dispositions de l’ancien article 792 du Code civil) et, dans une moindre mesure, sur le recel de communauté (article 1477 du Code civil).

 

Il permet de rappeler une nouvelle fois que s’il n’existe pas d’indivision entre nu-propriétaire et usufruitier, il peut exister une indivision sur la seule nue-propriété et donc une masse partageable… et donc une possibilité de recel.


Le conjoint usufruitier universel n’est donc pas « immunisé » contre cette peine privée dès lors qu’il dispose aussi de droits en nue-propriété sur les biens successoraux et/ou dépendant de l’indivision post-communautaire, ce qui est extrêmement fréquent en pratique (cas du conjoint bénéficiaire d’une donation entre époux qui opte pour la quotité disponible spéciale mixte ; cas du conjoint marié sous un régime de communauté qui bénéficie par ailleurs d’une vocation légale ou libérale en usufruit….).

 

Dans ce cas en effet, et comme l’a indiqué la Cour de cassation,  la qualité d’usufruitier n’est pas en tant que telle un obstacle à la réunion des éléments constitutifs du recel, qu’il s’agisse de l’élément matériel (la dissimulation de la nue-propriété du bien) ou de l’élément psychologique (l’intention frauduleuse, la conscience de nuire aux copartageants).

 

La situation ne se confond pas, et c’est ce qui a été l’erreur des juges du fond, avec celle dans laquelle le conjoint survivant n’est vraiment qu’usufruitier, hypothèse dans laquelle il ne peut pas être poursuivi pour recel par des enfants nus-propriétaires, pour cette raison que ces derniers ne disposent pas de droits de la même nature et ne se trouvent donc pas dans la situation de copartageants (Cass. 1ère civ., 9 sept. 2015, n0°14-18.906).

 

On notera que la confusion est relativement fréquente et cette décision donne l'occasion d'en rappeler une autre, très récente, que nous avons également commenté dans cette veille. Cette fois, et au milieu de plusieurs autres questions, les juges du fond avaient considéré à tort que l’usufruit universel du conjoint empêchait les enfants nus-propriétaires d’agir contre lui en partage, alors pourtant que ledit conjoint disposait aussi de droits sur la nue-propriété des biens (commentaire disponible ici).

 

Un autre intérêt de la présente décision est de préciser ce qu’il faut entendre par « l’héritier » au sens de l’article 792 du Code civil, aujourd’hui repris à l’article 778 du même Code (« Sans préjudice de dommages et intérêts, l'héritier qui a recelé des biens ou des droits d'une succession ou dissimulé l'existence d'un cohéritier est réputé accepter purement et simplement la succession (…) »)

 

En l’espèce en effet, le conjoint survivant était également poursuivi pour le recel des biens successoraux dépendant de la succession non encore partagée du père prédécédé de son époux.

 

Dans cette succession, et c’est ce qui a été relevé par la Cour d’appel pour écarter le délit civil, le conjoint n'était pas héritier légal. On peut ajouter qu’il ne disposait pas non plus d’une vocation libérale puisque son beau-père ne l’avait pas institué légataire universel ou à titre universel.

 

La Cour de cassation considère pourtant que le recel peut être poursuivi dans cette hypothèse : « (…) les peines du recel successoral s'appliquent au conjoint survivant qui, ayant recueilli, au décès de son conjoint, tout ou partie des droits que celui-ci tenait de sa qualité d'héritier dans la succession non partagée de son auteur prédécédé, les a recelés ».

 

Elle retient donc une conception assez extensive de « l’héritier » visé par le texte, ce qui n’est toutefois pas nouveau et correspond à l’opinion doctrinale majoritaire (v. déjà en jurisprudence, Cass. 1ère civ. 5 janv. 1983, n°81-16.655 : "(…) les peines édictées par l’article 792 du Code civil s’appliquent à toutes les personnes appelées à venir au partage de la succession en vertu d’un titre universel"; v. aussi, en doctrine, F. Terré, Y. Lequette et S. Gaudemet : Droit civil : Les successions, les libéralités, Lefebvre Dalloz 5ème ed. n°1122, note 4).

 

David Epailly

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