Dans un arrêt en date du 23 octobre 2024 (Cass. 1ère civ. 23 oct. 2024, n°22-22.698), la Cour de cassation devait se prononcer, dans le contexte d’un règlement successoral conflictuel, sur la question du possible rapport à succession d’une libéralité consentie au conjoint de l’héritier.
Dans l’affaire en cause, une personne décède en laissant pour lui succéder ses deux enfants, un fils et une fille. De son vivant, elle avait tiré plusieurs chèques au profit de l’épouse de son fils. Au jour du partage, la fille (en réalité ses héritiers venant à ses droits) demande le rapport de ce qu’elle estime être une donation indirecte au profit de son frère.
Faute de règlement amiable, l’affaire est portée devant les juges du fond et la sœur obtient gain de cause devant la Cour d’appel, qui estime que le fils « bénéficiait indirectement des libéralités consenties » à son conjoint.
Suite au pourvoi, l’arrêt d’appel est cassé au visa des articles 843, alinéa 1er et 857 du Code civil. La Cour de cassation rejette donc l’idée d’un rapport en se basant sur les motifs suivants :
« Selon le premier de ces textes, tout héritier, même ayant accepté à concurrence de l'actif, venant à une succession, doit rapporter à ses cohéritiers tout ce qu'il a reçu du défunt, par donations entre vifs, directement ou indirectement. Aux termes du second, le rapport n'est dû que par le cohéritier à son cohéritier ; il n'est pas dû aux légataires ni aux créanciers de la succession.
Pour dire que M. [P] [N] a bénéficié de multiples dons de [X] [N] pour une somme totale de 94 871,75 euros et lui ordonner en conséquence le rapport de cette somme à sa succession, l'arrêt retient que 24 871,25 euros ont été tirés par chèques établis entre juin 2011 et juin 2013 au nom de Mme [J] [K], épouse [N] pour ce montant et que M. [P] [N] bénéficiait indirectement des libéralités consenties.
En statuant ainsi, alors que Mme [K] n'avait pas la qualité d'héritière ab intestat de son beau-père, la cour d'appel a violé les textes susvisés »
Observations.
Cet arrêt de la Cour de cassation, même s’il aurait sans doute gagné à être motivé un peu différemment, présente le mérite de rappeler quelques règles importantes en matière de rapport des libéralités.
Il vise d’abord l’article 857 du Code civil, duquel il ressort que « Le rapport n'est dû que par le cohéritier à son cohéritier ; il n'est pas dû aux légataires ni aux créanciers de la succession ».
Le conjoint d'un héritier, parce qu'il n'a pas lui-même cette qualité, ne peut donc pas être tenu au rapport des donations qui lui ont été consenties par le de cujus. Bien évidemment, il peut en revanche, le cas échéant, subir la réduction (y compris de la part de son époux héritier…), s’il existe un enjeu de réserve et que les limites de la quotité disponible sont dépassées.
Cela dit, en l'espèce, la question était moins de savoir si le conjoint de l’héritier était tenu au rapport, que de savoir s’il était possible d’exiger de l’héritier le rapport de la donation consentie au conjoint… Or, sur ce point, un autre texte, auquel la Cour de cassation n'a pas fait référence, permet clairement de répondre par la négative. En effet, selon l'article 849 du Code civil : « Les dons et legs faits au conjoint d'un époux successible, sont réputés faits avec dispense du rapport. Si les dons et legs sont faits conjointement à deux époux, dont l'un seulement est successible, celui-ci en rapporte la moitié ; si les dons sont faits à l'époux successible, il les rapporte en entier ».
Il s’agit là d’une application de la règle plus générale suivant laquelle l’héritier ne doit rapporter que les donations qui lui ont été consenties personnellement. Il n’est pas tenu de rapporter celles qui ont été consenties à ses proches, qu’il s’agisse, comme ici, de son conjoint ou encore, suivant cette fois l’article 847 du Code civil, de ses enfants. On notera qu’un tempérament est toutefois prévu à l’article 848 du Code civil, qui tient à la logique de la représentation, et conduit l’héritier qui bénéficie de ce mécanisme à rapporter les donations consenties au représenté.
L’arrêt vise enfin l’article 843, alinéa 1 du Code civil, qui indique que « Tout héritier, même ayant accepté à concurrence de l'actif, venant à une succession, doit rapporter à ses cohéritiers tout ce qu'il a reçu du défunt, par donations entre vifs, directement ou indirectement (…)».
Cette référence mérite sans doute d’être expliquée à la lumière des développements précédents.
L’article 843 du Code civil permet de rappeler que toutes les donations sont présumées rapportables, indépendamment de leur forme. L’obligation concerne ainsi les donations ostensibles mais aussi les dons manuels, les donations indirectes (qui s'appuient sur un "acte neutre" qui ne révèle pas la nature de libéralité sans la "déguiser" ouvertement) et même les donations déguisées (qui masquent volontairement la libéralité sous les apparences d'un acte à titre onéreux).
Il n’en reste pas moins, et cela fait le lien avec ce qui a été vu plus haut, que ne sont concernées par le rapport que les donations reçues personnellement par l’héritier. Il ne faut donc pas confondre, comme cela a peut-être été le cas devant les juges du fond, les donations "indirectes" reçues personnellement par l’héritier avec les donations consenties à autrui (quelle qu’en soit d’ailleurs la forme) dont il profite « indirectement ».
Très bonnes fêtes à tous...
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